L’interview du mois : Christophe Clouzeau, expert Green UX chez Temesis

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Nous avons interrogé Christophe Clouzeau, expert Green UX chez Temesis, une agence spécialisée dans l’accompagnement des entreprises à l’éco-conception et l’accessibilité de leur site web. Il nous explique les enjeux de l’éco-conception des sites web, et les défis auxquels sont confrontées aujourd’hui les entreprises qui cherchent à optimiser leur site tout en réduisant leur empreinte carbone.

1/ Pouvez-vous vous présenter ? Et nous en dire plus sur Temesis ?

Je m’appelle Christophe Clouzeau et je travaille dans le web depuis “fort fort longtemps”, depuis 1996. Je suis plutôt du côté design et UX dans le numérique. L’UX signifie “User eXperience” c’est-à-dire que l’on observe, étudie et réalise des interfaces en fonction des besoins des utilisateurs, de leurs attentes et de leurs différents cas d’usage.

Je m’intéresse à l’impact du numérique depuis 2010 et je suis aujourd’hui responsable du pôle éco-conception numérique chez Temesis, auprès du pôle historique sur l’accessibilité et du pôle RGPD. Ces trois services nous permettent d’englober une bonne partie des enjeux du Numérique Responsable. Nous faisons des formations, nous réalisons des audits et nous accompagnons nos clients dans leur processus d’optimisation ou de production de projets. Temesis, qui fêtera ses 24 ans en 2024, a notamment contribué en 2009 à la rédaction du RGAA (Référentiel Général d’Accessibilité pour les Administrations, devenu Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité).

J’interviens également dans différents groupes de travail : l’Institut du Numérique Responsable, le collectif Green-IT, les Designers Éthiques, le collectif Boavizta, l’Afnor, le W3C pour exemples. C’est ce qui m’a permis de co-écrire dès mai 2021 le Référentiel Général de l’Écoconception des Services Numériques (RGESN), le premier référentiel international d’État publié en novembre 2022 sur ce sujet à destination de tous les professionnels du numérique.

2/ Quels sont les enjeux d’un site web éco-conçu ? Quelle est votre vision de l’avenir de l’optimisation des sites web et de l’éco-conception ?

Un site web, ou tout autre service numérique, éco-conçu cherche à minimiser ses impacts environnementaux. Cela ne se fait généralement pas convenablement dès la première fois puisque l’éco-conception est une démarche d’amélioration continue. L’objectif est de réduire les impacts environnementaux du service numérique afin de minimiser l’usure des équipements qui les utilisent. En effet, lorsque l’on regarde l’analyse de cycle de vie complet de l’industrie du numérique, les principaux impacts sont du côté de la fabrication des matériels et il se trouve que nos équipements se comptent par milliards (versus par millions du côté des datacenters). Comptez le nombre d’appareils numériques que vous possédez : ordinateur, écran, portable, smartphone, montre, enceinte, téléviseur, console de jeu, imprimante, box internet, projecteur, cadre photo, objets connectés, etc.

Donc réduire l’obésité des services numériques c’est se concentrer sur leur unité fonctionnelle en supprimant tout ce qui est inutile autour. Finalement, la démarche permet de lutter contre l’obsolescence de nos appareils numériques.

Face aux enjeux auxquels l’humanité doit faire face actuellement, à savoir le réchauffement climatique, la raréfaction des ressources et la 6e extinction massive des espèces, nous pensons que la sobriété du numérique est indispensable car ces impacts ne cessent de croître… Sans exclure que le numérique peut également contribuer à la transition écologique !

À l’avenir, je pense que la loi va fortement réglementer et contraindre les fabricants de matériels, de logiciels et de services numériques. Cela commence dès 2024 avec l’inscription du référentiel RGESN au sein de la loi REEN (Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique). De nombreux autres pays sont sur cette voix de la réglementation avec des objectifs de réduction à 2030 – 2050.

3/ Y-a-t-il des difficultés quant à l’éco-conception des sites web ? Quel est le plus grand défi pour aller plus loin dans l’éco-conception et l’optimisation des sites web ?

La difficulté que tous nos interlocuteurs nous remontent aujourd’hui est qu’ils se sentent perdus. Les services numériques à réduire sont nombreux, il existe de multiples guides, référentiels et catalogues de bonnes pratiques, de nombreux outils d’évaluation… et beaucoup de promesses d’offres pour les diminuer. Par où commencer ? Par quoi ? Comment et avec qui ?

Notre plus grand défi est donc de déjà donner la même base d’informations à tous les collaborateurs impliqués, via la formation de sensibilisation. Puis de les accompagner sur un projet concret en se fixant un cap de réduction à atteindre (50% des impacts mesurés par exemple ?). Cette équipe monte progressivement en compétences puis expose ses résultats en interne. Par la suite des formations métiers peuvent aider à progresser, ainsi que des audits de conformité (RGAA, RGESN et pourquoi pas RGPD).

4/ Quels sont les avantages de l’optimisation des sites web et de l’éco-conception pour les entreprises ? Comment mesurez-vous l’efficacité des efforts d’optimisation des sites web et d’éco-conception ?

Concrètement un service numérique éco-conçu utilise moins de ressources, consomme moins de bande passante donc consomme moins d’énergie ; ce qui peut avoir un effet immédiat sur la facture électrique.

Plus simple, il est aussi plus efficace et nécessite moins de maintenance. Cela réduit également ce que l’on appelle la “dette technique”, c’est-à-dire la facilité à le maintenir, le corriger et le mettre à jour. Et tout ça sans dénigrer l’expérience utilisateur : elle ne doit pas être dégradée ! Le service reste toujours aussi utile, utilisable et utilisé mais il consomme simplement moins de datas et de ressources. C’est ce que je nomme le “Green-UX” : la conception est à la fois centrée utilisateur (“user-centric”) et centrée environnement (“planet-centric”).

Du côté de la mesure, ou plutôt de l’évaluation, nous aimons fixer ce que l’on appelle un “budget environnemental” à ne pas dépasser. Il provient généralement d’une évaluation en amont des impacts d’un service existant. Et nous mesurons l’effort à la fin du projet, parfois sur de nombreux indicateurs. Nous accompagnons fréquemment ce résultat d’une analyse de performance web environnementale (PWE) et/ou d’un audit de conformité au RGESN. Cet audit permet de mettre en évidence la démarche et l’intention menée pour la bonne réalisation du service (ce qui ne peut pas apparaître dans une mesure technique).

Il ne faut pas oublier qu’il existe d’autres indicateurs que les requêtes, les ressources transférées et l’électricité. Il y a de la consommation d’eau, de la génération de gaz à effet de serre (GES), des impacts sur les minéraux extraits pour la fabrication, sur les ressources abiotiques, de la pollution chimique, des déchets électroniques… Sans oublier l’impact social si on se penche, ne serait-ce que sur les conditions humaines pour l’extraction des matériaux, la fabrication en usines et les tonnes de déchets électroniques où des familles complètes vivent pour faire fondre les appareils afin d’en récupérer leur précieux composants chimiques.

5/ Quelles sont les principales tendances en matière d’optimisation des sites web et d’éco-conception ?

Les tendances graphiques existent, mais ce ne sont que des considérations esthétiques qui, par définition, évoluent vite. Du côté de la technique, cette dernière année est venue confirmer l’arrivée de nombreux outils de mesure ou d’évaluation.

En revanche, nous constatons que l’approche du sujet change : elle fut pendant longtemps une approche technique, via la mesure et les outils d’évaluation. Aujourd’hui le rôle de chaque métier impliqué dans la conception prend de l’ampleur, notamment celui de la stratégie UX et du design UX : une interface conçue avec beaucoup de fonctionnalités, d’interactivités et des contenus lourds, débouchera automatiquement sur un développement Front lourd (HTML, CSS, JS), puis un dev-Back lourd également, le tout nécessitant plus de puissances de serveurs côté hébergement pour assumer le transfert des interfaces sur les équipements finaux d’utilisation. Toute cette lourdeur intervient, quelle que soit l’ancienneté du terminal de consultation et son contexte de débit.

L’éco-conception est donc vue de plus en plus dans son ensemble, comme une vision stratégique globale au sein des enjeux RSE des organisations.