Nathalie Balla, Co-Présidente de La Redoute : “Travailler avec les start-up est structurant pour accélérer notre transformation”

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Nous avons interrogé Nathalie Balla, Co-Présidente de La Redoute, et membre du jury de Start Me Up. Elle nous explique comment la transformation culturelle de La Redoute des 4-5 dernières années les a aidés à surmonter la crise sanitaire du Covid19, et nous partage son opinion sur les nouveaux usages et technologies qui vont réinventer le retail.

La Redoute s’est transformée en quelques années d’un catalogue à une plateforme comparable à Amazon. Quelles ont été les principales leçons de cette transformation, et les recommandations que vous donneriez aux marchands qui commencent leur transformation ?

Tout d’abord, il faut comprendre son écosystème. Quand on a commencé à transformer La Redoute, on s’est posé la question de qui on était et dans quel écosystème on opérait. On a étudié quelles étaient nos forces et on s’est ouvert à l’extérieur.

La deuxième phase est d’identifier ses leviers pour atteindre cette transformation.

Nous, en l’occurrence, on s’est rendu compte que nos produits étaient notre force, et qu’il fallait continuer à développer cet axe en modernisant notre offre. Un deuxième levier a été de digitaliser notre communication, de passer d’un format de catalogue papier à une marque digitale. Il faut oublier le clivage offline / online, il faut que les marchands comprennent que le client existe où qu’il soit, qu’il est libre de ses mouvements, et que le site internet ne doit pas être juste un outil d’image de marque, mais aussi un outil pour entrer en communication avec la marque.

Un autre sujet important est le service. Dans un monde digitalisé, le client veut avoir tout en un clic et tout de suite. On a investi massivement dans un entrepôt logistique qui permet de livrer les clients en un jour, voir le jour même, à partir d’un entrepôt entièrement automatisé. Le Covid19 a montré que la supply chain est un point névralgique, il est un peu “mal aimé” par le retail, mais je pense qu’il y a un gros investissement à faire dans la supply chain.

Enfin, le quatrième levier, c’est toute la transformation culturelle et humaine, pour devenir plus agile, plus ouvert et plus à l’écoute de ses clients, qui est la transformation la plus difficile à mener. C’est un changement culturel énorme pour l’entreprise. Comment on accompagne ce changement de culture ? Comment on accompagne les équipes pour qu’elles s’approprient le digital et qu’elles comprennent que le digital va leur permettre de se rapprocher des clients ?

Pour synthétiser, mes recommandations sont de comprendre son identité propre, son écosystème, l’évolution des usages des clients, et ensuite de construire des axes stratégiques et un plan d’action autour des leviers qui permettent de mettre l’entreprise en mouvement.

 

Quelles technologies ou nouveaux comportements vont impacter le plus profondément La Redoute dans les 5 prochaines années ?
Quid de la commande vocale ? les Super Apps ? Le live streaming ?

Je me rappelle quand Google nous a présenté Google Home et nous a annoncé l’ère du vocal. Je suis convaincue que le vocal va révolutionner la manière de faire du commerce. C’est un sujet qu’on adresse à La Redoute et qu’on essaie de comprendre, car ça demande de structurer complètement différemment la data.

Les Super Apps, ça va venir d’une manière ou d’une autre en Europe également. Il y a une notion de vie privée qui est plus forte en Europe, et qui ne nous permettra pas d’aller aussi loin que ce qu’on peut faire en Asie, où les citoyens sont prêts à partager énormément d’informations. Ça ne sera pas de la même ampleur, mais il y aura des variations, des adaptations. On voit bien qu’Amazon a déjà bien intégré tout ce qui est paiement, qui est quand même une étape clé vers la Super App.

Le live streaming, j’y crois énormément. C’est très asiatique aussi, les hauls étaient déjà très populaire il y a 10 ans au Japon. Je pense que ça va prendre de l’ampleur chez nous et que ça va changer la manière d’interagir pour les marques. L’enjeu pour les marques est d’utiliser les réseaux sociaux et les influenceurs pour réussir à vendre.

Une autre innovation dans laquelle nous croyons c’est toute la partie intelligence artificielle, 3D, reconnaissance visuelle, qui va révolutionner l’expérience d’achat, surtout sur la décoration maison qui est un des principaux marchés de La Redoute.

Comment avez-vous vécu la crise du Covid19 au sein de La Redoute ?

Avec le recul, nous avons relativement bien vécu la crise. Nous avons une mission, qui a été clairement définie et qui est d’embellir la vie des familles. C’est une mission qui s’est avérée plus importante que jamais en période de confinement puisque chacun a dû se recentrer sur sa cellule familiale.

 

Comme nous avons vécu une transformation profonde au cours des 5 dernières années, nous avons une résilience et une agilité dans les équipes qui se sont avérées utiles pendant cette période car il a fallu rapidement adapter l’offre, la manière dont on parle aux clients, l’organisation du travail au siège avec le télétravail.

 

Globalement, nous avons gagné 2 à 3 ans en Europe sur l’évolution de la part d’e-commerce. Toutes les tendances se sont accélérées : il y avait déjà une tendance vers le digital et l’e-commerce, mais des populations qui restaient encore réticentes, se sont mises à commander sur les sites web. Les familles ont eu besoin d’équiper leurs intérieurs, il a fallu équiper les bureaux, acheter des PC, des imprimantes, des jeux pour occuper les enfants… et comme les magasins étaient fermés, les gens n’avaient pas d’autres possibilités que de commander en ligne. Je pense que toutes les entreprises qui avaient fait le travail de digitaliser leur offre s’en sont mieux sorti que les autres. La capacité à exploiter la data a été un vrai levier pour comprendre le changement des comportements et s’adapter aux nouveaux usages rapidement.

 

Ces nouveaux comportements digitaux sont-ils amenés à perdurer après la crise ?


On a passé un palier sur l’e-commerce, et je ne pense pas qu’on va revenir en arrière : les gens ont compris que c’était simple. Mais le magasin va continuer à avoir une raison d’exister. Par contre, il va falloir réinventer la proposition de valeur pour attirer les clients en magasin.

C’est la raison de notre rapprochement avec le groupe Galeries Lafayette : nous croyons vraiment au commerce “phygital”. Nous sommes des êtres humains, nous avons besoin de relations sociales et de contacts. Le digital permet de se rapprocher des clients, notamment avec le vocal et live streaming, mais rien ne remplace le lien physique et le côté événementiel. Il faut juste repenser l’expérience en magasin, ce que nous avons commencé à faire à La Redoute : nous avons des showrooms connectés de 300 à 500 mètres carrés, où nous offrons une expérience, un service et une capacité à tisser du lien plutôt qu’un magasin dans lequel on veut juste vendre à tout prix. Depuis la fin du confinement, nous sommes en ligne avec nos objectifs de performance sur les showrooms.

 

La data est le grand enjeu des retailers pour pouvoir améliorer l’expérience client ainsi que mieux comprendre les besoins des clients pour faire évoluer leur offre. Comment concrètement La Redoute s’appuie-t-elle sur la data ?

Historiquement, la data est très importante chez La Redoute. On avait la base de données la plus importante de France pendant des années. On a toujours eu des vraies compétences sur le sujet, mais historiquement nous étions plutôt orientés sur la compréhension des usages clients et la segmentation client. Il y a 4-5 ans, nous avons commencé à investir massivement pour exploiter la donnée à 360 degrés, qui permet d’avoir en temps réel les informations sur les clients et d’adapter notre offre et notre manière de communiquer. Nous exploitons la donnée désormais aussi pour améliorer les processus de l’entreprise, et pour améliorer l’expérience de livraison. On a une capacité à tracer de A à Z l’expérience client, et à comprendre les points à améliorer. Nous arrivons aussi à comprendre quelle relation le client entretient avec la marque, et quelle est l’expérience la plus adaptée à cette relation.

Il a bien sûr fallu mettre en place une équipe data mais ça a aussi été une révolution culturelle dans toutes les équipes (marketing, produits, commercial, RH…) car le recours à la data modifie la manière d’appréhender le métier et de prendre des décisions.

 

Quels sont vos enjeux actuels par rapport à la data ?

Notre enjeu aujourd’hui c’est d’entrer dans l’ère de l’algorithmie, de l’intelligence artificielle, et de développer des cas d’usages basés sur la data. Aujourd’hui, on a encore peu de décisions qui sont guidées par l’IA et les algorithmes. Il y a beaucoup plus de domaines d’applications que ce qu’on utilise aujourd’hui. Amazon et Zalando sont plus avancés sur ces sujets, c’est certain, mais nous les talonnons de près. On est dans le top 3 européen en ce qui concerne l’usage des données.

 

La crise semble avoir accéléré une conscientisation écologique, avec de plus en plus d’engagements pris par le monde corporate sur la crise climatique. Quelle est la position et la vision de La Redoute, acteur de la fast fashion, sur cette problématique ?

Ça fait déjà des années qu’on est engagé sur la partie RSE et qu’on agit pour l’environnement. La Redoute a depuis 15 ans des circuits qui lui permettent de ne pas avoir d’invendus ou de ne pas avoir à détruire ses produits invendus. Par ailleurs, nous avons des collections en propre (70 % du CA) qui sont développées de manière responsable : par exemple, quasiment 100 % du linge de maison est certifié Oeko-Tex depuis des années et 50 % des meubles sont produits en France, à la demande. Nous visons 100 % de produits responsables pour nos collections de prêts à porter d’ici 2022 et 100 % de nos collections maison d’ici 2025.

Nous questionnons régulièrement les clients et nous avons observé qu’ils sont de plus en plus conscients notamment du fait qu’ils n’ont pas besoin d’autant de vêtements. Ils font régulièrement le ménage dans leurs armoires pour acheter de nouveaux produits, ce qui a permis l’émergence de la seconde main (Vinted, Le Bon Coin, Ebay…). C’est pourquoi nous allons tester à partir de novembre une solution C2C, et qu’on va ouvrir à tous nos clients en décembre. C’est un projet qu’on avait dans les cartons, mais qu’on n’avait pas forcément priorisé, car le modèle économique du C2C est encore à prouver, mais pendant la crise nous avons décidé d’accélérer sur ce projet.

Nous participons par ailleurs à une consultation citoyenne qui fait émerger ce que les clients attendent d’une offre plus responsable, et ce qui ressort c’est le “Made In France” et l’économie circulaire, donc il est nécessaire que les retailers proposent des solutions aux clients.

 

Enfin, vous êtes membre du jury du concours Start Me Up organisé par la Fevad pour récompenser les start-up e-commerce les plus innovantes. Comment travaillez-vous avec les start-up pour innover, et avez-vous des “success stories” à partager ?

Pour La Redoute, travailler avec les start-up et l’ouverture avec l’extérieur a permis d’accélérer fortement l’innovation. Ça a été structurant pour rattraper notre retard et accélérer la transformation. Nous avons la chance d’avoir l’accélérateur Blanchemaille à Lille, à proximité de nos locaux, et nous nous appuyons également sur l’écosystème de l’accélérateur des Galeries Lafayette opéré par Plug & Play.

Nous avons beaucoup de “success stories”. Nous avons par exemple travaillé avec Early Birds, qui nous a permis d’accélérer sur toute la partie personnalisation et recommandation produits. Nous travaillons avec une start-up sur la reconnaissance visuelle et la reconnaissance produits. Nous travaillons avec FACIL’iti, une start-up qui permet de faciliter l’accessibilité numérique aux personnes en situation de handicap et qui a été primée par le Start Me Up l’an dernier. Nous travaillons avec une start-up lilloise, Tekyn, sur la production à la demande, avec Dotaki pour adapter notre interface en temps réel en fonction de l’utilisateur, etc. Tous ces projets ont été industrialisés.